Comme beaucoup d’enseignants, vous avez dû, en quelques jours chambouler votre façon d’enseigner, et vous adapter au remote learning pour assurer la continuité pédagogique. Comment avez-vous vécu cette expérience?
Cela n’a pas toujours été évident. Les enfants m’ont beaucoup manqué. Mais j’ai beaucoup appris. Cela m’a permis de faire mon entrée dans le 21e siècle et d’adapter mes cours au monde d’aujourd’hui. Cela m’a obligé à être plus créatif encore, à questionner les différentes étapes de ma pédagogie, à devenir plus visuel et à conceptualiser mes cours au maximum.
Dans quelles mesures? Pouvez-vous nous donner des exemples?
Avant, je n’utilisais pas tout le potentiel créatif et pédagogique qu’internet et ses applications offrent. Maintenant, j’utilise des logiciels qui permettent de construire un cours efficace et animé dans tous les sens du terme.
Prenons l’exemple de la négation : avec un PowerPoint animé, l’élève voit la phrase se construire devant lui, le verbe vient se mettre entre le “ne” et le ‘pas”. Sur un tableau, on effacerait, on réécrirait au bon endroit, on dessinerait des flèches… Pas très clair tout ça. En utilisant le mouvement, la couleur, les sons, cela devient plus intéressant. Aujourd’hui, les enfants naissent avec l’image, ils n’aiment que l’image, c’est le vecteur essentiel. Le e-learning permet d’utiliser l’image. La leçon devient animée et donc plus captivante pour eux. Grâce à ces outils, le cours est plus ludique et plus fort. Enfin, le fait d’avoir une classe virtuelle permet aux élèves de revenir sur le cours quand ils le veulent, de revoir les capsules (animations) autant de fois qu’ils le veulent et même de poser des questions à n’importe quel moment via le “chat” de la classe.
Vous avez aussi créé un microsite pour les élèves qui préparaient le DELF?
Oui, avec deux de mes collègues, Britt Rjanikov et Mouna Blila, ainsi que notre directrice pédagogique Émilie Agache nous avons organisé un DELF FOR FUN, puisque l’examen avait été annulé suite à la crise sanitaire. J’ai imaginé un microsite avec des sons et des exercices pour que les enfants puissent s’entraîner plus facilement. D’ailleurs, nos candidats ont tous été reçus !
Vous dites que les outils permettent de rendre les cours plus efficaces. Pourtant, ce n’est pas toujours évident de motiver les élèves en e-learning, de conserver leur attention, surtout les plus jeunes. Qu’en pensez-vous?
C’est le même challenge en présentiel. Si l’enseignant n’arrive pas à emporter les élèves, à déclencher leur intérêt, que ce soit devant un écran ou devant un tableau, c’est la même chose. Pour moi, ce qui est le plus important, c’est de se mettre au niveau de l’enfant.
Imaginons la thématique Versailles/Louis XIV. Il faut se mettre dans la tête d’un enfant et se demander, selon son âge, ce qui l’émerveillerait, ce qui l’intéresserait vraiment dans la vie du château de Versailles et la vie de Louis XIV afin de trouver des portes d’entrée efficaces. Par exemple : “Choisis qui tu veux être à la cour du Roi ” Cela permet d’introduire les personnages importants de l’époque : Jean de la Fontaine, Molière ou Marie Thérèse d’Autriche. “ Comment t’adresserais-tu au roi ? ” Ce qui permet d’introduire un “Role Play” et d’utiliser les formules de politesse…. Il faut rendre le cours ludique, le mettre au niveau des enfants, se servir de leur centre d’intérêt. Si on y arrive, alors tout est plus simple. On peut ajouter aux notions de langue pure à étudier en priorité de la culture générale, des connaissances supplémentaires, mais il faut vraiment le prendre par le biais de l’enfance, que ce soit en présentiel ou à distance.
Qu’en est-il de la cohésion de groupe? Comment les élèves peuvent-ils échanger et créer des liens entre eux et avec l’enseignant à travers un ordinateur? On perd un aspect très important de “la vie de l’école” avec le remote learning, non?
L’ordinateur ne peut pas remplacer les cours en présentiel à ce niveau là. Mais il y a des choses à faire, l’enseignant peut travailler à créer une osmose. Il faut laisser du temps pour des discussions, laisser de la place aux élèves dans la classe, les inviter à parler d’eux, de leurs passions, de leurs intérêts en proposant des jeux, en leur demandant de préparer des exposés. De cette façon, ils apprennent à se connaître.
On peut aussi leur demander de travailler en groupe pour créer une cohésion, créer des liens, pour éviter de les isoler. Cela ne remplacera jamais la présence physique mais il y a des façons de modeler une cohésion de classe.
Et les problèmes techniques? Est-ce que vous ou vos élèves en ont eu? Cela n’a-t-il pas empêché le bon déroulement des cours?
Évidemment, nous avons eu quelques problèmes techniques mais nous avons su les tourner à notre avantage. Si un enfant – ou moi-même – ne savait pas faire quelque chose sur l’ordinateur, je demandais aux autres élèves de l’aider ou de m’aider. Cela les a poussés à communiquer entre eux et en français. J’avais une élève qui avait un peu plus de mal que les autres avec l’ordinateur. Ses camarades l’aidaient, l’attendaient. Du coup, ces “problèmes techniques” ont donné lieu à des moments super chouettes. C’était un peu une école de patience, de tolérance. Nous n’étions pas totalement déconnectés des rapports humains, même si nous étions derrière notre écran.
Selon vous, quels sont les avantages du e-learning?
Ce qui est génial dans le e-learning, c’est que les enfants sont beaucoup moins passifs. La nature d’un cours en e-learning pousse les élèves à être acteurs. En présentiel, c’est au professeur de faire le cours, de donner de l’énergie, de donner envie – ce qui est normal. Mais en e-learning, il faut que les élèves donnent un minimum d’eux-mêmes pour que la classe puisse tourner. Il faut être attentif pour pouvoir réussir les activités. L’élève est un “facteur de réussite”. Quand on est en présentiel, les élèves peuvent griffonner, laisser leur esprit divaguer. Avec le e-learning, s’ils ne regardent pas leur écran, s’ils ne sont pas un minimum concentré, cela ne fonctionnera pas.
J’ai aussi remarqué que les enfants produisent plus à l’écrit en étant moins ronchon. C’est peut-être dû au fait qu’ils écrivent chacun dans leur coin et qu’il n’ont pas quelqu’un derrière leur épaule tout le temps?
Mais pour moi, le point essentiel est que le e-learning nous permet de connaître en temps réel les évolutions de l’enfant. Quand l’enseignant est en cours avec huit élèves, il doit animer, faire les exercices, passer des vidéos – il n’a pas forcément le temps d’être derrière chaque enfant et de voir exactement quelles sont les erreurs qu’il a répété dans tous les exercices. Nous n’emportons pas avec nous la totalité des classeurs, souvent volumineux, après chaque classe. Avec le e-learning, l’enseignant peut facilement retourner sur les exercices rendus et les logiciels nous aident à les analyser : taux de réussite, taux d’échec, combien de temps l’élève a été actif, les erreurs qui ont été trop souvent commises. Nous avons des outils qui nous permettent d’identifier l’ensemble des points à améliorer pour chaque élève. Ce qui est beaucoup plus compliqué en présentiel. Cela permet d’avoir une vraie lecture pour chaque élève, une photo de où ils en sont et à quel moment, et donc d’ajuster les points à revoir et d’accompagner les élèves de façon plus pertinente.
Que retenez-vous de cette expérience? Recommanderiez-vous l’enseignement en ligne?
Le e-learning n’est pas fait pour tout le monde. Cela dépend beaucoup des personnalités et c’est à chacun de déterminer si cela leur correspond ou pas, que ce soit les enseignants, les élèves et les parents.
Personnellement, les écrans ne m’effraient pas. C’est la manière dont on s’en sert et le but dans lequel on s’en sert qui m’effraie. Bien utilisés, je trouve que ce sont des outils formidables qui facilitent l’accompagnement, le renforcement des connaissances. Si possible, l’école doit d’abord se faire en présentiel bien sûr ! Mais le e-learning peut être tout aussi efficace. D’autant plus sur un programme FLAM. Sur des sessions de deux heures, cela fonctionne parfaitement bien.
Propos recueillis par Aurore Joshi