Mars 2020. Face à un virus nouveau qui se propage sur le globe et dont la dangerosité n’est pas connue, la plupart des pays sur la planète se confine. Tous les secteurs sont impactés. Celui de l’éducation en particulier. Ainsi, depuis que notre réalité ressemble à un scénario de science-fiction, le FLAM et ses enseignantes ré-inventent l’idée de « faire classe ». Valérie Ogereau est l’une d’entre elles. Elle a accepté de nous raconter les bouleversements et les défis qu’elle et ses collègues relèvent à chaque connexion avec ses élèves.
Bonjour VALÉRIE, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ?
Bonjour à tous. Je m’appelle Valérie et je travaille à l’EFGB depuis septembre 2017. Je suis enseignante au programme FLAM. J’ai aussi été “Substitute Teacher” pendant un an, dans les différentes écoles maternelles de l’EFGB. Ce choix s’inscrivait pour moi dans une reconversion professionnelle et aujourd’hui, je peux dire que je suis très heureuse d’avoir choisie cette voie. Je remercie L’EFGB de m’avoir mis le pied à l’étrier en suivant une formation initiale à l’enseignement FLAM mais aussi une certification de Correctrice/Examinatrice DEFL. Cette reconversion se poursuit via des formations continues de développement professionnel. Je suis aussi maman de deux enfants inscrits au programme FLAM et enseignante, je réalise à de nombreux niveaux ce qu’apporte aux familles françaises et francophones une association comme l’EFGB : un lien social et culturel francophone. En Mars 2020, il a fallu brusquement inventer une nouvelle façon de faire les cours de français FLAM, par écrans interposés.
Comment s’est passée pour toi cette transition?
Elle a été rapide. Très rapide. Mais je ne suis pas la seule dans ce cas. Tout le monde a été bousculé (et c’est un euphémisme de le dire ainsi) d’une manière ou d’une autre par cette pandémie. Lorsque la direction a annoncé la suspension des cours en présentiel, c’était un mercredi soir. Toute les équipes ont alors passé deux jours et un week-end entiers à monter une plateforme numérique pour offrir un cours en ligne dès le lundi. En 4 jours, l’EFGB s’est organisée. La direction a été extrêmement réactive : achat d’applications, mise à disposition d’outils numériques, formation à ces outils. OFA Lycée, une structure spécialisée dans les cours à distance nous a également aidé en proposant des formations: construire et programmer une séance de cours en ligne… Leurs conseils ont été cruciaux. D’ailleurs, je les applique encore. Et puis, nous avons très vite eu une coordination pédagogique avec FLAM USA. Des partenariats avec des sites éducatifs SAVIO, STORYPLAY’R, ont été négociés. Les efforts ont été énormes et la dynamique demandée intense. Mais on l’a fait et je pense qu’on l’a bien fait!
Comment les élèves se sont-ils acclimatés à cette nouvelle façon de faire classe?
Finalement, ça s’est bien passé. Les liens qu’ils avaient créés auparavant avec leurs camarades ont été très utiles. Ils étaient très contents de se retrouver deux fois par semaine malgré le lock down. Le FLAM leur a permis de garder un lien social ce qui a aidé à maintenir une dynamique de groupe lors des classes virtuelles.
Comment, dans les classes FLAM en distanciel, créer du lien entre l’enseignante et son groupe et entre le groupe lui-même ?
C’est une problématique marquante de la rentrée 2020. Les élèves venaient de différents sites. Ils ne se connaissaient pas. Il a donc fallu travailler à la création d’un «esprit de classe». C’était un vrai défi. J’ai donc utilisé le thème de l’identité lors des premiers cours. Les enfants ont alors parlé d’eux, de leur nationalité, de leurs loisirs. La glace s’est vite brisée. En ce moment, j’expérimente les « Breakout Rooms ». Les enfants travaillent en groupe dans des salles virtuelles. C’est très efficace pour créer du lien. Actuellement, les élèves participent à un nouveau projet pédagogique : un concours d’écriture collaborative. Nous avons le début d’une histoire, à nous d’en imaginer le dénouement. Les enfants sont motivés et le fait d’avoir leur adhésion aide beaucoup à l’interaction. Enfin, j’essaie aussi de leur offrir un temps libre lors duquel ils peuvent se parler plus directement. Donc, oui, générer un esprit de groupe prend plus de temps qu’en présentiel mais c’est possible.
Quels sont les outils que tu utilises et à quoi ressemble un cours type en distanciel ?
J’ai un niveau de classe « Explo 3 ». Mes élèves ont 8 ans (2nd grade). Pour ce public, les outils sont nombreux. J’ai pour ma part décidé de n’en utiliser que trois. Multiplier les supports, c’est prendre le risque de les perdre. Les enfants doivent déjà se connecter à leur école américaine et parfois à d’autres programmes. Je veux donc limiter les outils. J’utilise en premier lieu « See Saw». C’est notre interface. C’est là où je distribue les sujets, les informations. C’est là où les élèves postent des photos de leurs activités. Bref, c’est l’espace d’échanges de la classe. Ensuite vient SAVIO, un site internet éducatif conçu pour les enfants de niveau élémentaire. Il a l’avantage de permettre aux enfants de se connecter indépendamment de toutes activités liées à la classe. L’enfant se constitue un avatar, il gagne des points, tout en travaillant le français de façon ludique. De plus, le site fournit à l’enseignante des supports d’activités très bien faits. Ces activités sont en lien avec les notions travaillées dans la classe. Ces activités deviennent des missions à remplir pour les enfants. C’est un outil complet qui répond aussi bien aux besoins des enseignants que des parents. Le troisième outil s’appelle « STORYPLAY’R ». C’est une bibliothèque numérique. Son avantage est que chaque livre propose des options de lecture différentes: lecture autonome, lecture karaoké, lecture audio et enregistrement. Toutes ces options sont précieuses. L’enregistrement, par exemple, fait prendre conscience à l’enfant des sons qu’il doit améliorer, les liaisons qu’il ne fait pas. Les livres sont aussi joliment illustrés. Grâce à « STORYPLAY’R», je mets en place des rallyes lectures. En ce moment, nous explorons les fêtes. J’essaie de coller au thème de la période de l’année. Quant à mes séances de classe, elles sont anticipées et préparées, même si je laisse un peu de place à l’improvisation, selon les réactions des enfants. Mes séances de cours sont très ritualisées. Les enfants ont besoin de ça pour pouvoir se repérer dans une classe virtuelle. Je démarre le cours avec son sommaire, puis c’est l’accueil, le rappel de notions antérieures, vient la poursuite d’un apprentissage. Ensuite, on glisse sur un thème plus culturel. Le cours dure 2 heures et chaque activité ne dure jamais plus de 20 mn.
Comment conserver l’attention des élèves ?
Justement en proposant des séances rythmées. Il faut changer d’activité souvent sinon on perd l’attention des élèves. D’où le travail d’anticipation. Les rendre actifs aide beaucoup à garder les apprenants en éveil. Veiller à faire tourner la prise de parole est aussi très important. Parfois, il y a des moments où on devine un intérêt de la part des apprenants. À partir de là on essaie d’utiliser cet intérêt pour dynamiser la classe. Il n’empêche, même préparé, je me laisse la possibilité de changer un peu le cours dès que je perçois ce que j’appelle une «étincelle» chez les élèves. C’est important. Il faut coller aux intérêts des enfants. Parfois, il y a de vrais moments de magie. Par exemple, pendant un cours, on a entendu un instrument de musique qui venait de la maison d’un élève. Quelqu’un a rebondi en s’écriant: «moi aussi je joue d’un instrument » et je me suis rendu compte que tous jouent d’un instrument. Ils l’ont ainsi présenté, joué quelques notes. Il faut laisser libre cours à ces moments de spontanéité. C’est la preuve d’une classe vivante. Il faut savoir rester souple dans ses approches.
Quels sont selon toi les avantages et les inconvénients du E-Learning?
L’inconvénient principal réside dans l’obligation plus que nécessaire d’une formation poussée et en continue pour les enseignantes. Le développement professionnel pour l’éducation numérique est un vrai sujet. Il faut aussi parler de la qualité de la connexion Internet et du matériel. Une classe ne se passe pas de la même manière si l’on est sur un Ipad, un ordinateur ou un téléphone. Il y a donc une inégalité entre les étudiants à prendre en compte. L’accès à une imprimante peut être aussi problématique. Ce sont des embûches qu’il faut savoir contourner. Mais depuis le mois de mars 2020, je note que les familles, les enfants, et nous, les enseignants, sommes presque devenus des informaticiens. Nous résolvons plus rapidement les difficultés techniques. Par exemple, mes élèves rendent aujourd’hui leurs devoirs en y insérant des textes, des vidéos, des enregistrements audios, des dessins, des images. C’est épatant je trouve! En ce qui concerne les avantages, ne perdons pas de vue qu’en temps de pandémie, les enseignants, les enfants et donc les familles sont en sécurité grâce au distanciel. Ensuite, le E-Learning permet à des enfants qui n’ont pas la possibilité de se déplacer de pouvoir malgré tout intégrer le programme FLAM. Nous touchons aujourd’hui des familles en dehors de la ceinture de Boston. On sait que des familles dans le New Hampshire sont demandeuses. On ne peut que se réjouir pour ces familles qui veulent conserver un lien avec la langue française ! Grâce au virtuel nous pouvons leur proposer nos services. C’est formidable. N’oublions pas enfin que nous sommes situés géographiquement près du Québec et du Maine. Ce dernier cherche à introduire l’apprentissage du français dans ses écoles publiques. C’est une occasion à saisir parce que nous avons de nombreux atouts. En plus d’une maîtrise technique, nous avons aujourd’hui une équipe enseignante dont la qualité est certifiée par des organismes indépendants et extérieurs. Une grande partie de l’équipe FLAM a décroché une certification de Correcteur-Examinateur DELF. Et nous sommes sensibilisées au CECRL (Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues), le référentiel international de didactique du Français Langue Etrangère. C’est donc une énorme opportunité qui s’offre potentiellement à nous: se développer à travers toute la nouvelle Angleterre.
Faudrait-il, selon toi, pérenniser ce type d’apprentissage ou doit-il rester exceptionnel ?
Il est difficile d’avoir un avis tranché, définitif. Il y a tellement de facteurs et d’inconnus. Y aura-t-il un retour massif au présentiel dès la fin de la pandémie? Quelle est la part de familles qui voudra continuer en distanciel ? Y aurait-il assez d’enfants hors de Boston pour poursuivre une offre en E-Learning ? Est-ce que cette offre serait viable économiquement pour une structure comme la nôtre ? Une chose est certaine, la COVID a définitivement et profondément impacté nos manières de travailler, nous les adultes. Et nos enfants sont les adultes de demain. Ne faudrait-il pas préparer nos enfants à ces nouvelles pratiques? Je crois qu’elles se sont installées durablement. On voit aujourd’hui des entreprises se demander si leurs locaux ne sont pas trop grands, trop couteux, si des salles de réunions sont encore nécessaires. Il y a des transformations sociétales dont on ne mesure pas encore les conséquences mais qui sont là. Qu’on le veuille ou non. Je me dis que nous devrions préparer nos enfants à l’avenir qui les attend. Qu’on s’en réjouisse ou pas. Enfin, tous ces nouveaux outils utilisés en distanciel peuvent être utilisés en présentiel. Ils rendent la classe plus attrayante, plus dynamique. Même si ces outils impliquent parfois une réécriture de nos programmes. La classe virtuelle et la classe en présentiel ont un véritable avenir en commun. Mais ce n’est que ma vision des choses. D’autres penseront certainement le contraire et c’est très bien. Les débats, le partage d’opinions nous font avancer, progresser. Et ça aussi, c’est passionnant !
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Propos recueillis par Stéphane Galas et mis en page par Aurore Joshi.